HISTOIRE SANS QUEUE NI TÊTE
Est-ce déjà la fin de cette histoire?
Le petit Harold était en train de se noyer . Et, comble
de l’horreur, il se noyait dans une mare de sang !
C’est déjà assez désagréable de se noyer,
n’est-ce-pas ? Mais dans une mare de sang, c’est carrément dégoûtant.
Représentez-vous la
situation : Harold, un charmant petit monstre à trois têtes, tout jeune
encore, avec la grâce de l’enfance, pataugeait dans le sang.
Or Harold déteste le sang. Il n’aime que trois choses.
Premièrement, le
chocolat. Mais attention, il n’est pas difficile, sa maman lui a appris qu’il
fallait manger de tout : donc il aime le chocolat sous TOUTES ses formes.
La crème au chocolat, la mousse au chocolat, les éclairs au chocolat, le
chocolat aux noisettes, et j’en oublie, c’est sûr. Même il aime aussi le
chocolat blanc, ce qui prouve bien qu’il a les idées larges. C’est sa tête de
gauche qui adore le chocolat.
Deuxièmement !
Sa tête de droite aime TOUS les gâteaux : les biscuits, les macarons, les
gâteaux aux noisettes, les roulés à la confiture les gâteaux au chocolat
….Aïe ! Problème ! Les gâteaux au chocolat, c’est du gâteau ou c’est
du chocolat ? Qui le mange ? La tête de gauche ou la tête de droite ?
Le pauvre Harold a toujours des difficultés le jour où il y
a du gâteau au chocolat, car ses deux têtes se disputent :
« C’est à
moi ! »
« Non, c’est pour moi »
Il est très difficile d’avoir deux têtes à soi qui
commencent à se regarder d’un sale œil.
« Harold, parmi tes têtes, tu as une tête
qui ne me revient pas » grogne la tête de gauche »
« Harold ! Je t’ai dit cent fois que tu avais une
tête à claques ! » grommelle la tête de droite.
Quelle situation pénible !
Et la tête du milieu, me direz-vous ? J’y viens, j’y
viens, un peu de patience. C’est le troisièmement.
Et la queue, alors ?
Ah ! la queue ! Parlons-en de la queue !
Harold a deux queues, enfin, trois plutôt.
Premièrement, une queue qui en vaut deux. Cette queue se
divise en deux : il y a un bout de queue qui chatouille et un bout de
queue qui tape et gratte. C’est une queue à deux têtes, en somme.
La tête de la queue
qui gratte et qui bat est verte et ressemble à une queue de crocodile. Allez
donc chatouiller les copains avec une queue de crocodile ! C’est râpeux, c’est rêche, ça fouette l’eau
violemment.
Harold n’est pas un petit monstre agressif et ne s’en sert
guère, mais malgré tout pour taper les tapis, battre la chantilly et gratter
les carottes, ça peut servir.
Cela dit les deux bouts de la queue numéro un ne s’entendent
pas très bien, il faut l’admettre. Et ça ne facilite pas la vie de Harold qui a
déjà bien du mal avec ses deux têtes.
Bon, comptons sur nos doigts pour ne pas nous y perdre, nous
avons dit une queue qui en vaut deux et
une encore, ça en fait trois en tout. Vous suivez ?
La troisième, (ou la deuxième si on compte pour une la
première qui en vaut deux), est une queue « merveilleuse et pratique »®,
pleine de ressources et d’utilité : non seulement elle gratouille, ce qui
est bien pratique quand on a des puces, mais encore elle peut servir
d’éventail, de dessous de plat, d’ouvre-bouteille, de ramasse-miettes et de
bien d’autres choses encore. Harold est absolument ravi de cette queue-là.
C’est sa queue préférée. Et avec ça, un caractère en or ! C’est elle qui
négocie les partages de gâteau entre la tête numéro un et la tête numéro deux
en se repliant et se mettant entre les deux têtes (un tête-à-queue, en quelque
sorte), c’est elle qui donne une carotte à gratter à la queue qui râpe pour
l’occuper quand elle devient trop grognon et qui se met donc en quatre pour ramener
la paix. (En quatre ? On en est à combien alors ?)
Mais où ai-je donc la tête ? Il nous manque une
tête : celle qui porte le numéro trois.
Celle-là s’est spécialisée dans la consommation de la glace
à la framboise et des pommes de terre frites. Elle mange aussi des pâtes, à
l’occasion, parce que tout le monde sait qu’il faut manger é-qui-li-bré. Cette
tête-là n’est pas contrariante, elle feint d’ignorer les deux autres têtes et
leurs disputes continuelles.
De temps en temps elle se contente de dire d’un air
profondément endormi et ennuyé, en croquant une frite trempée dans sa glace à
la framboise :
Reprenons
donc cette histoire sans nous laisser dérouter par ces tête-à-queue sans queue
ni tête.
Par ailleurs, Harold n’a pas seulement des têtes et des
queues, il est tout à fait normal (pour un monstre, j’entends). Il a des bras,
comme vous et moi, il en a trois, plutôt dodus, il a des jambes (quatre, c’est
bien pour l’équilibre), de ravissantes petites ailes dont il est très fier et
qui sont purement décoratives, un parapluie et des roulettes relevables pour
aller plus vite.
Ce matin-là, ....
Ce matin-là, ....
Il chantonnait en sautant à cloche-patte sur la route et en
poussant tranquillement son chariot à provisions, lorsque soudain il fut
attaqué par un gigantesque animal venu d’on ne sait où, de la montagne voisine
sans doute. Une bête horrible, hirsute, aux poils hérissés, bardée de griffes
acérées, avec des billes vertes phosphorescentes à la place des yeux, une
gueule, une seule pour faire encore plus peur, grande ouverte sur deux rangées
de crocs épouvantablement blancs, enfin, une bête de cauchemar.
Le pauvre petit Harold crut sa dernière heure arrivée.
Il abaissa ses roulettes et se mit à patiner à toute vitesse
sur la route en cherchant désespérément à droite et à gauche un endroit, un
recoin, un terrier, une caverne pour se cacher.
La bête bondissait derrière lui….
Il courait, roulait, glissait, essayait de voler, de toutes
ses forces.
Soudain plus de buissons ni d’arbres du côté droit, un immense terre-plein où régnait une activité fébrile. On allait, on venait, on criait, on s’agitait. Harold n’avait pas le temps d’observer ce qui se passait.
Pas le temps de réfléchir.
Pas le temps de gronder la queue
grattante et tapante qui vociférait à l’adresse de son poursuivant des insultes
et des provocations.


Il obliqua brusquement vers la droite. Peut-être allait-il
se précipiter vers un danger plus grand encore que celui qui le menaçait pour
l’instant et dont il sentait le souffle chaud sur ses queues ?
Harold, donc, talonné par la bête, effectua un virage sur
l’aile, (son aile droite), traversa la cour en louvoyant entre les pavés et, au
moment où la patte garnie de griffes en poignard allait s’abattre sur lui, prit
son élan, ses pattes à son cou, fit tournoyer ses ailettes, réussit un bond
prodigieux et retomba au milieu d’une large cuvette remplie d’un liquide rouge
et visqueux…du sang ! Pouah !
A ce moment une voix de tonnerre retentit au dessus de sa
tête :
« Minet, ne touche pas à ça. C’est pour faire le
boudin. Sauve-toi de là, le chat ! »
Et une géante, dont la tête grattait le ventre des nuages,
se pencha. Apparemment sans crainte et sans répulsion pour l’horrible bête,
elle l’attrapa par la peau du cou et alla le déposer dans le gigantesque
bâtiment qui s’élevait au loin et dont elle referma ensuite la lourde porte.
Harold était débarrassé pour l’instant du danger poilu et
griffu.
Et voilà où nous en étions au début de cette histoire.
Mais que faire pour sortir de ce bain dégoûtant ?
Dans le bain.
Harold s’agitait de toutes ses forces.
Il serait tombé dans la crème, il aurait peut-être eu une
chance de la faire tourner en beurre en
battant des quatre pattes, des trois bras, des trois queues et même des ailes.
Mais là, pas question !
Pour comble de malheur, Harold ne savait pas encore très
bien nager. Il était bien allé à la piscine avec son école de monstres mais ça
ne suffisait pas. Ses têtes essayaient tant bien que mal de ne pas boire la
tasse tandis que ses queues se transformaient en hélice, ce qui le propulsait
en avant. Mais dès qu’il atteignait le bord de la cuvette, ses pattes
glissaient en griffant le bord émaillé et il retombait dans un gros splash .
Le petit Harold était-il perdu ?
Avait-il échappé à la Grande Bête Poilue pour finir noyé
dans une mare de sang ?
Quelle horreur !
Le sol se mit soudain à trembler.
Harold tourna sa tête numéro un en arrière. Un géant
s’approchait à grands pas.
Il se pencha vers Harold et hurla :
« T’es prête pour le boudin, Berthe ? T’as ton
boyau ?T’as fait ton mélange, l’eau est sur le feu ? Oh, zut, il y a
déjà une bestiole dedans. »
Et il plongea deux doigts gigantesques dans le liquide,
recueillit Harold sans prendre la peine d’y regarder de plus près, ni de
l’écraser, et le jeta au loin.
Le pauvre petit se retrouva virevoltant dans l’air. La tête
numéro un fit un nœud avec la tête numéro deux. La queue en poil de chat se
hérissa comme un rince-bouteilles. La queue de crocodile battit l’air avec
fureur et la troisième queue ouvrit son parapluie. Harold atterrit brutalement
sur une botte de paille. Vite vite, il se glissa sous les brins et s’assit pour
compter ses têtes et ses queues et retrouver ses esprits. Ce qui n’est déjà pas
facile avec une seule tête, mais avec trois têtes qui pensent des choses différentes
en même temps, imaginez un peu !
Hors d'eau.
Harold, assis sur son ballot de paille, comptait ses têtes
et ses queues. Après tout ce qui lui était arrivé, il n’avait plus toutes ses
têtes à lui. Pour tout dire, il avait les têtes à l’envers.
Après quelques
minutes de repos, il décida de faire une petite toilette. Il ordonna à ses
têtes de le débarrasser à coups de langue de la pellicule rouge qui l’engluait,
collait ses ailes, maculait ses écailles et adhérait à ses poils.
Les têtes firent une drôle de tête en entendant ce qu’Harold
demandait. Elles firent même carrément la tête. Puis quand il leur eût expliqué
que, premièrement, il fallait sortir de là, et deuxièmement il voulait rentrer
à la maison et que là seulement il pourrait être question d’un dîner de gâteau
+ chocolat+ glace à la framboise garnie de frites, elles se décidèrent à faire
un brin de toilette et à lécher Harold des têtes aux pieds en passant par les
queues, les ailes et les roulettes. Mais il est clair qu’elles n’étaient pas de
bonne humeur.
La tête numéro un était rouge de colère.
La tête numéro deux était jaune de dégoût..
La tête numéro trois était verte de rage


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